
Ils sont nos pères, tapis dans l’obscurité
de couloirs dont nous ne savons plus les couleurs
ils prennent la forme de lépismes
ou de monstres dont nous sommes fières
ils sont les pères que nous avons eus
plus grands que nous
silencieux
immenses
ils sont la sueur, la force, le métal, la laine
(nous sommes le gras, le rose, la terre, la peur)
et ils n’ont pas vu nos sangs
ils n’ont pas su nos plaintes
nous avons été maigres et tranquilles
dans la lumière grise des couloirs
nous avons pris les formes
de cadeaux tombés du ciel
d’oiseaux blessés ! de fleurs nouvelles !
mais un jour on leur dira
nous avons été petites
dans vos bras partis trop tôt
on se recueillera sur la poussière, sur les pierres
laissées par eux
pendant des siècles
pas un mot plus haut que l’autre
on sera entières
rusées, violentes et belles
le dérangement en guise de vérité
pour eux
alors ils sauront notre colère (le silence, le sang)
ramperont jusqu’à nous dans les couloirs
devenus clairs
je les vois, forts et nôtres
qui bâtiront des abris par centaines
dans les forêts plantées pour nous
ils iront chez nos sœurs, et nos mères,
en banlieue, en Autriche
ils parleront notre langue et diront
que nous sommes leurs filles
grandes, précieuses, plus rapides que le vent
enfin nous serons des monstres
dont ils seront fiers